Les vices nés de l'inaction se chassent par l'activité.
— Sénèque, Lettres à Lucillus
J’aime beaucoup YouTube. J’y passe minimum 2h par jour, plus encore le week-end. J’ai aucun remord vis-à-vis de cette statistique parce que je trouve qu’il y a du contenu incroyable. Je pourrais citer une dizaine de vidéos qui sont sans exagéré des chefs-d’œuvre. Peu importe le sujet, tu peux trouver une chaîne excellente avec des vidéos qui te marquent tellement elles sont intelligentes et bien faites. Tu peux apprendre bien mieux qu’avec un cours, t’ouvrir à plus de sujets qu’avec n’importe quel documentaire et être plus touché qu’avec un film.
Pourtant, je peux pas passer une journée entière sur Youtube sans me sentir mal. Même si j’enchaîne des vidéos passionnantes, je finis rapidement par sentir que je devrais faire autre chose.
L’explication basique est que tu te sens mal parce que tu te dis que tu devrais travailler et pas juste te divertir toute la journée. D’ailleurs je ressens la même chose avec les films, les séries ou les jeux-vidéos.
Mais j’ai déjà ressenti la même chose en travaillant. Par exemple, j’ai déjà ressenti senti cela alors que j’étais en cours. J’étais littéralement en train de travailler et pourtant je ne me sentais pas mieux. J’avais ce même sentiment que j’aurais dû être en train de faire autre chose. C’est pas vraiment de l’ennui. C’est plus le sentiment que je ne consacre pas mon énergie là où il faut.
Mais récemment, j’ai enfin compris d’où ça venait. Tu te sens mal quand tu passes ton temps à consommer. Pour te sentir mieux, tu ne dois pas te mettre à “travailler”, tu dois te mettre à produire.
Quand tu passes ta journée devant des vidéos YouTube ou dans une salle de classe, tu ne fais que consommer. Tu consommes du divertissement ou des leçons mais tu ne produis rien. Or, produire est plus satisfaisant que consommer. Si tu prends n’importe quel truc que tu consommes régulièrement, tu prendrais du plaisir en cherchant à produire cette chose. Tu prends plus de plaisir à créer une vidéo YouTube qu'à regarder la vidéo YouTube d'un autre. Tu prends plus de plaisir à écrire un article, qu'à lire l'article d'un autre. Tu prends plus de plaisir à concevoir un cours qu’à suivre le cours d’un autre. Consommer est plus facile mais produire est plus gratifiant.
La solution est d’être productif dans le sens littéral du terme: tu dois créer quelque chose. Peu importe ce que c’est. Cela peut-être un article, un site web, une chaise en bois, un TikTok, une vidéo YouTube, un album photo pour ta famille, etc. La seule question qui compte est : est-ce que tu produis ou est-ce que tu consommes ?
One giant recipe for a happy life is simply to Become a Producer of the Things You Most Enjoy Consuming.
— Mr Money Mustache, $656,000 of Frugal Things I Still Love Doing
Il y a une justification pseudo-scientifique à ça que j'aime beaucoup.
Il y a 200 000 ans, nos ancêtres vivaient dans des petites tribus. À cette époque, tu devais faire partie d'un groupe pour survivre et en être exclu signifiait la mort. La vie était dure et chacun devait contribuer à la survie du groupe. Un membre incapable était un poids mort qui mettait en danger toute la tribu donc il finissait par être exclu. La conséquence de ça est que nos ancêtres ont fini par intégrer qu’être utile = survivre. Aujourd'hui, on ne vit plus dans des tribus et notre survie ne dépend plus de notre appartenance à un groupe. Le problème est que la société a évolué plus vite que notre biologie. On a le même cerveau que nos ancêtres préhistoriques. Ce même cerveau qui est rempli des mécanismes développés pour la survie en tribus. Par exemple, même si de nos jours l'exclusion ne signifie plus la mort, cette peur est toujours encodée. Quand tu ne sens pas particulièrement utile aux autres dans ta vie, ton cerveau panique. Il croit qu’il y a un risque que ta tribu s’en rende compte. Pour éviter ce danger, il te fait te sentir mal pour que tu changes d’activité. Il crée ce sentiment de malaise où tu sens que tu devrais faire autre chose pour te pousser à te rendre utile.
We evolved to live in small tribes and now live outside of our natural habitat, in an advanced civilization. One effect of this mismatch is that there are a bunch of things that feel dangerous to us that aren't actually dangerous. For primates living in a small tribe, rejection, embarrassment, failure, and criticism posed actual material dangers. These things are not dangerous today, but our software hasn't been updated.
— Wait But Why
Mais alors pourquoi est-ce qu’on ne fait pas tout pour être utile ?
Le problème est que notre cerveau n’avait pas anticipé un truc. Au lieu de s’embêter à trouver un moyen d’être utile (ce qui demande beaucoup d’énergie), on a juste trouvé un moyen de supprimer momentanément la gêne. C’est le problème de la gratification instantanée.
Quand tu consommes - de la nourriture transformée, du divertissement super optimisé, etc - ça te distrait un moment et te fait te sentir mieux. Tu caches momentanément la gêne. Le problème de cette stratégie est que tu traites le symptôme en renforçant la cause. Tu te distrais quelques minutes donc tu oublies que tu te sens inutile mais quand ça s'arrête, non seulement le sentiment revient mais en plus tu réalises que tu as encore perdu du temps à ne rien faire de concret donc tu te sens encore plus mal. Sauf qu’il y a tellement de sources de dopamine “faciles”, que ça ne demande aucun effort de juste augmenter ta dose de consommation pour continuer à étouffer cette gêne.
Ça fait qu’on se retrouve dans un cercle vicieux : tu te sens mal parce que tu n’as rien fait de ta journée du coup tu vas compenser en regardant une vidéo Youtube et en prenant un 2e dessert. C’est efficace au début mais dès que le pic de dopamine est passé, le mal-être revient encore plus fort ce qui te pousse à consommer d’autant plus.
La solution pour briser ce cercle vicieux est de se rappeler qu’on a deux stratégies pour combler le même besoin - consommer ou être utile. On a tendance à aller vers la première parce que c’est celle qui demande le moins d’énergie. Mais la deuxième stratégie est la seule qui fonctionne réellement.
Consommer est la solution facile, efficace sur le court terme mais contre-productif sur le long terme tandis que se rendre utile est la solution difficile, parfois déplaisante sur le court terme mais efficace sur le long terme.
Tout ce qu’il faut faire, c’est se rendre utile. Et l’une des meilleures façons d’y parvenir est de produire quelque chose au lieu de passer son temps à consommer ce que les autres ont produit.