🥈 The Parable Of The Talents - Scott Alexander
Un article perturbant sur le talent naturel par Scott Alexander.
Je suis le premier à considérer que tu peux apprendre n’importe quelle compétence, que tu n’es pas voué dès la naissance à être mauvais dans un domaine, que ta perspective compte et que si tu te persuades que tu n’es pas fait pour quelque chose, tu te condamnes à échouer.
Mais cet article m’a fait réaliser que c’est plus compliqué que ça.
1.
Si tu pousses cette mentalité à l’extrême, tu obtiens une version du genre : “tu peux obtenir ce que tu veux en travaillant dur donc si tu as de mauvais résultats c’est que tu ne travailles pas assez”.
J’appelle ça la mentalité Shonen.
Le problème, c’est que la mentalité Shonen oublie l’influence de la génétique.
Alors que, révélation, la génétique a une influence.
Ça se voit de fou à l’école. Il y en a qui travaillent des week-ends entiers juste pour avoir une note passable pendant que d’autres vont avoir des notes exceptionnelles en révisant le matin dans le bus.
C'est encore plus fragrant en études supérieures. Au lycée, j’étais l’élève qui s’en sortait bien en maths. je travaillais un peu et j’étais parmi ceux qui avaient de bons résultats. Mais quand je suis arrivé en prépa, j’ai rencontré des gens qui étaient absolument au-dessus de moi. C’était pas qu’une histoire de travail - je travaillais plus que la majorité d’entre eux. C’était pas non plus qu’une histoire de travailler intelligement - certains ne travaillaient pas du tout. Ils étaient juste meilleurs que moi en maths. Ils comprenaient en quelques minutes des théorèmes que je mettais des jours à saisir. Leur intuition les aidait à commencer un exercice dans la bonne direction alors que je ne savais jamais par où démarrer. Beaucoup de choses faisaient juste sens pour eux alors qu’elles étaient obscures pour moi.
Comment est-ce que ça pourrait n’être qu’une histoire de détermination et de travail alors que j’ai vu des gens réussir en ne foutant rien et des gens échouer alors qu’ils donnaient tout ce qu’ils avaient ?
[…] there were some students who did better than I did in Math with seemingly zero effort. I didn’t begrudge those students. But if they’d started trying to say they had exactly the same level of innate ability as I did, and the only difference was they were trying while I was slacking off, then I sure as hell would have begrudged them. Especially if I knew they were lazing around on the beach while I was poring over a textbook.
Si tu dis que la génétique n'exerce aucune influence et que ce n'est qu'une histoire de volonté, tu traites injustement tous ceux qui n'ont pas d'avantages naturels et qui fournissent des efforts énormes pour compenser.
Une philosophie qui félicite les mecs qui réussissent alors qu’ils n’ont rien fait pour, et qui blâme ceux qui galèrent alors qu’ils y mettent toute leur volonté, ça paraît juste… pas correct.
Le talent naturel existe, on ne part tous avec les mêmes capacités et ça décide une partie de nos résultats. On ne peut rien y faire et tant mieux pour ceux qui sont avantagés. Mais la moindre des choses, c’est d’être juste avec ceux qui sont désavantagés et reconnaître que ce n’est pas toujours à cause d’un manque de travail que tu as un manque de résultat.
2.
Maintenant, on arrive au point vraiment déprimant : jusqu’à quel point est-ce que ça décide de tes résultats ?
Parce que d’accord, tu as plus de difficultés à progresser dans X. Mais l’idée de la mentalité Shonen est aussi de dire “même si c’est difficile, même si tu galères, même si tu penses que tu vas échouer, tant que tu persistes et continue à travailler dur, tu peux arriver au sommet. Tu peux battre n’importe quel talent naturel en travaillant dur”.
En gros, peut-être que la génétique décide de ton niveau initial et de ta vitesse de progression mais pas de ton potentiel maximum. Tant que tu persistes, tu peux aller aussi loin que tu le veux. Certes, tu vas galérer plus que les autres mais tu peux accomplir autant qu’eux.
Un peu comme dans tous les films américains où le héros rejoint une équipe de sport, galère au début, tout le monde lui dit qu’il n’est pas fait pour ça, il se fait harceler par le quarterback prodige de l’équipe adverse, mais il persiste, s’entraîne sans relâche et finit par marquer le dernier point qui fait gagner le championnat à son équipe.
De temps en temps, je me demande ce qu'il se serait passé si j'avais poursuivi mes études en maths. Est-ce que j'aurais fini par rattraper et dépasser les enfants prodiges en mode shonen ? Ou est-ce que je serais devenu bon-mais-pas-exceptionnel et ça m’aurait petit à petit rendu aigri de réaliser que jamais je ne pourrais les concurrencer malgré mon travail acharné ?
Scott se pose la même question :
Every so often I wonder if somewhere deep inside me there is the potential to be “among the top musicians of my generation.” I try to recollect whether my brother practiced harder than I did. My memories are hazy, but I don’t think he practiced much harder until well after his career as a child prodigy had taken off. The cycle seemed to be that every time he practiced, things came fluidly to him and he would produce beautiful music and everyone would be amazed. And this must have felt great, and incentivized him to practice more, and that made him even better, so that the beautiful music came even more fluidly, and the praise became more effusive, until eventually he chose a full-time career in music and became amazing. Meanwhile, when I started practicing it always sounded like wounded cats, and I would get very cautious praise like “Good job, Scott, it sounded like that cat was hurt a little less badly than usual,” and it made me frustrated, and want to practice less, which made me even worse, until eventually I quit in disgust.
Ce qui différencie une personne talentueuse, ce n’est pas seulement qu’elle comprend plus vite, c’est qu’elle ne ressent pas du tout la même chose. Ce qui paraît ennuyeux et difficile aux autres, lui paraît évident et amusant.
Le plus gros mensonge de la mentalité Shonen, c’est de te faire croire que c’est normal de souffrir en pratiquant. Tu es fatigué rien qu’à l’idée de bosser sur ce projet ? Tu as beaucoup de mal à te mettre dedans ? Chaque minute passée à travailler dessus est un calvaire ? Ce n’est pas une raison pour arrêter. Le succès n’est qu’une histoire de volonté et tu dois persister.
Pourtant, quand tu regardes ceux qui excellent dans leur domaine, ce n’est absolument pas ce qu’ils font. Ils ne se forcent pas à s’entraîner parce que “c’est comme ça que tu deviens bon”, ils s’entraînent parce que c’est ce qu’ils ont envie de faire. Ils travaillent dur mais ils ne le ressentent pas comme du travail. Bien sûr, ils sont disciplinés et persistent même quand c’est difficile. Mais la majorité du temps, ils n’ont pas besoin de le faire parce que ce n’est pas difficile, ils s’amusent.
I dunno. But I don’t think of myself as working hard at any of the things I am good at, in the sense of “exerting vast willpower to force myself kicking and screaming to do them”. It’s possible I do work hard, and that an outside observer would accuse me of eliding how hard I work, but it’s not a conscious elision and I don’t feel that way from the inside.
[…] But I still feel like there’s something going on here where the solution to me being bad at math and piano isn’t just “sweat blood and push through your brain’s aversion to these subjects until you make it stick”. When I read biographies of Ramanujan and other famous mathematicians, there’s no sense that they ever had to do that with math. When I talk to my brother, I never get a sense that he had to do that with piano. And if I am good enough at writing to qualify to have an opinion on being good at things, then I don’t feel like I ever went through that process myself.
Imagine un gars qui veut absolument devenir le prochain Mozart et qui décide d’apprendre à jouer du piano. Il prend des cours et s’entraîne plusieurs heures chaque jour. Il galère. Au bout de plusieurs mois de pratique intensive, ses résultats ne sont pas géniaux. Il parvient à jouer à peu près bien les quelques mélodies sur lequelles il s’est arraché les cheveux mais en-dehors de ça, il est perdu. Pire, chaque heure passée à jouer au piano est une torture.
La mentalité Shonen te dirait qu’il devrait continuer à s’entraîner parce que la persistance est ce qui différencie les professionnels et les amateurs. S’il continue à pratiquer non-stop pendant 10 ans, il ne peut que devenir excellent.
Prends par exemple cet extrait de la newsletter Brain Food :
What separates good work from great isn't talent but persistence.
The most successful people aren't those who feel motivated all the time; they're the ones who work even when they don't feel like it. Too often, waiting to feel ready means never starting.
Outliers act despite their feelings, not because of them.
De l’autre côté, la mentalité fixe te dirait que tout est joué à la naissance, que soit tu l’as, soit tu l’as pas et très clairement, ce gars ne l’a pas. Il ferait mieux d’abandonner ce projet et de passer à autre chose plutôt que de perdre son temps dans une activité qui n’est pas faite pour lui.
Pour être honnête, je trouve la mentalité fixe plus adaptée ici.
Alors oui, c’est une mentalité de looser qui va un peu trop loin - tout n’est pas joué à la naissance, tu peux progresser dans des domaines et c’est pas binaire - mais je pense aussi que ce gars ferait mieux d’arrêter le piano.
Si tu progresses et que tu apprécies la majorité de tes séances alors le conseil de Brain Food est bon : le jour où tu ne le sens pas, persiste malgré tout et sur le long terme, ça fera la différence.
En revanche, si tu as du mal à chacune de tes séances depuis plusieurs mois, c’est un mauvais conseil que d’ignorer tes sentiments. Parce que le fait que tu galères autant est peut-être un signe que c’est pas fait pour toi et que tu dépenserais mieux ton énergie ailleurs. Les personnes qui réussissent le mieux ne sont pas celles qui se sentent motivées tout le temps mais ce ne sont pas non plus celles qui se sentent démotivés tout le temps.
3.
La mentalité fixe a raison en considérant que soit tu l’as, soit tu l’as. Pas dans le sens où tes compétences sont fixées - si ce gars continue à pratiquer, il va progresser et finira peut-être même par avoir un très bon niveau - mais dans le sens où ton potentiel maximum est fixé - je ne vois pas comment ce gars pourrait devenir Mozart, peu importe à quel point il s’entraîne dur.
Si tu penses que la génétique ne détermine rien et que ce n’est qu’une histoire de travail alors tu n’as aucune excuse pour ne pas devenir Ramanujan, Elon Musk ou Michael Jordan.
Mais quand j’entends avec quelle facilité ces prodiges s’en sortent, je ne vois pas comment tu pourrais compenser ça avec du travail. Et je ne suis pas sûr que tu puisses un jour débloquer ce sentiment de facilité.
Peu importe que je dédie les 20 prochaines années à faire 5h de mathématiques par jour, je n’aurais jamais l’intuition de Ramanujan. Le type voyait des dieux hindous dans ses rêves, ils apparaissaient sous la forme de gouttes de sang et lui révélaient des formules mathématiques ; je crois pas que ce soit un niveau que tu débloques en travaillant dur.
Ce qui nous amène au point de l’article que personne a envie d’entendre.
Certaines personnes naissent avec des capacités que tu ne pourras jamais compenser avec ton travail.
Bien sûr que tu peux être un forceur qui travaille pendant des années dans un domaine pas du tout fait pour lui et arriver à un niveau de compétence tout à fait respectable. Mais il ne me semble pas que tu finirais par dépasser un mec naturellement doué qui travaillerait autant. Tu ne dépasserais non plus un mec extrêmement doué qui travaillerait moins.
Tes compétences ne sont pas fixes - tu peux progresser - mais ton potentiel l'est. Et peu importe à quel point tu travailles dur, tu ne peux pas repousser cette limite. Tu peux juste exploiter au mieux ce que tu as.
Si tu veux juste être très bon, c’est pas un problème. Mais si ton objectif est d’être parmi les tout meilleurs, il vaut mieux y réfléchir à deux fois. Si tu te mets à fond dans un domaine, tu peux espérer atteindre ton potentiel maximum mais il ne sera peut-être pas assez haut pour accomplir ton rêve et ça tu ne peux rien y changer.
Parce qu’arrivé à un certain niveau de compétition, le moindre avantage que tu as sur tes concurrents compte. Les tout meilleurs d’un domaine sont ceux qui ont une génétique taillée pour ce domaine ET qui travaillent de fou. Si tu n’as pas d’avantages naturels et que tu travailles dur, tu pourras battre les gens naturellement doués qui ne branlent rien, mais plus tu monteras de niveau et plus tu rencontreras des gens qui sont doués naturellement ET qui travaillent dur.
4.
Le risque de cette conclusion est de trop virer dans le fixed mindset. Certaines personnes voient ces résultats et concluent que ça ne sert à rien de faire des efforts parce que tes compétences sont décidées à la naissance.
Ce qui est super nocif vu que ça a été prouvé qu’avoir un growth mindset était de loin préférable - meilleurs résultats, tolérance à l’échec, plus heureux.
La façon dont je le vois est que c’est un bon argument pour ne pas perdre ton temps dans un domaine qui n'est pas fait pour toi. Certes tout n’est pas joué à la naissance - tu peux progresser et à génétique égale, celui qui travaille plus gagnera - en revanche, il ne faut pas faire comme si la génétique n’existait pas. Si tu fais 1m60, réfléchis avant de dédier ta vie à aller en NBA. C’est pas impossible (ça s’est déjà vu) mais les probabilités sont contre toi et tu ferais mieux de choisir un domaine où tu as de meilleures prédispositions naturelles.
Le but est pas de décourager tout le monde de bosser dur pour accomplir des choses, juste de reconnaître qu’on a tous le potentiel d’accomplir quelque chose dans certains domaines mais pas dans tous. Et c’est dommage de perdre du temps et de l’énergie dans un domaine pas fait pour toi, sous prétexte qu’un gourou du dev perso t’a persuadé que tu pouvais devenir ce que tu voulais.
L’avantage d’accepter qu’il existe des variations naturelles entre les individus et que ça influence les résultats, c’est que tu peux arrêter de persister dans un domaine pas fait pour toi sans avoir honte :
The point I want to make is that for me, what’s at stake in talking about natural variations in ability isn’t just whether I have to feel like a failure for not getting an A in high school calculus, or not being as good at music as my brother. It’s whether I’m a failure for not being Elon Musk. Specifically, it’s whether I can say “No, I’m really not cut out to be Elon Musk” and go do something else I’m better at without worrying.
Au contraire, nier l’implication de la génétique n’aide pas :
[…] People say we should stop talking about ability differences so that stupid people don’t feel bad. I say that there’s more than enough room for everybody to feel bad, smart and stupid alike, and not talking about it won’t help. What will help is fundamentally uncoupling perception of intelligence from perception of self-worth.
[…] And if our answer to “I feel dumb and worthless because my IQ isn’t high enough” is “don’t worry, you’re not worthless, I’m sure you can be a great scientist if you just try hard enough”, then we are implicitly throwing under the bus all of these people who are definitely not going to be great scientists no matter how hard they try. Talking about trying harder can obfuscate the little differences, but once we’re talking about the homeless schizophrenic guy from Detroit who can’t tell me 100 minus 7 to save his life, you can’t just magic the problem away with a wave of your hand and say “I’m sure he can be the next Ramanujan if he keeps a positive attitude!” You either need to condemn him as worthless or else stop fricking tying worth to innate intellectual ability.
[…] Likewise with intellectual ability. When someone feels sad because they can’t be a great scientist, it is nice to be able to point out all of their intellectual strengths and tell them “Yes you can, if only you put your mind to it!” But this is often not true. At that point you have to say “f@#k it” and tell them to stop tying their self-worth to being a great scientist.
Mes conclusions :
tu ne peux pas devenir ce que tu veux, tu peux progresser dans tous les domaines mais tu ne peux pas atteindre le top 1% dans tous ;
le plus tôt tu acceptes ça, le plus tôt tu peux te concentrer sur tes points forts au lieu de persister à combler tes points faibles. Au lieu de forcer pour faire entrer le triangle dans le trou du carré, cherche le trou du triangle ;
utilise tes prédispositions naturelles pour t’aider à choisir quoi faire et ne pas faire ;
ce qui importe, ce n’est pas le résultat absolu mais le résultat relatif à ton potentiel. Si tu as l’habitude d’avoir 6 en maths, que tu passes un week-end à travailler de fou et que tu obtiens 12/20, tu as peut-être atteint 90% de ton potentiel et c’est génial. Parce que même si ton maximum n’est pas très haut, tu l’as atteint et c’est tout ce qui compte. Au contraire, quand un mec ne branle rien et a 18/20, je vois surtout qu’il n’est qu’à 20% de son potentiel et c’est triste.
Ce qui est d’ailleurs la très belle conclusion de Scott :
The Jews also talk about how God judges you for your gifts. Rabbi Zusya once said that when he died, he wasn’t worried that God would ask him “Why weren’t you Moses?” or “Why weren’t you Solomon?” But he did worry that God might ask “Why weren’t you Rabbi Zusya?”
And this is part of why it’s important for me to believe in innate ability, and especially differences in innate ability. If everything comes down to hard work and positive attitude, then God has every right to ask me “Why weren’t you Srinivasa Ramanujan?” or “Why weren’t you Elon Musk?”
If everyone is legitimately a different person with a different brain and different talents and abilities, then all God gets to ask me is whether or not I was Scott Alexander.
This seems like a gratifyingly low bar.
🔨 What Doesn't Seem Like Work? - Paul Graham
En lisant l’article de Scott Alexander, je me suis rappelé d’un court article qu’avait écrit Paul Graham où il évoquait une idée similaire.
Son idée était que pour trouver sur quoi tu devrais travailler, tu devrais chercher une activité où tu réussis sans effort alors que les autres ont bizarrement l’air de galérer. Plus ce que tu aimes paraît étrange aux autres, mieux c’est.
Par exemple, Paul Graham aime bien débugger des programmes alors que la majorité des gens détestent ça et il est devenu un très bon programmeur.
La première fois que je lu ce conseil, je ne l’ai pas trouvé incroyable. Mais maintenant que j’ai en tête l’article de Scott, je le trouve brillant.
Le titre de l’article, Qu’est-ce qui ne ressemble pas à du travail,…
… est en fait la même chose que ce que dit Scott ! Quand tu fais un travail qui est adapté à toi, tu n’as pas l’impression de travailler. Tu n’as pas à exercer beaucoup de volonté et de discipline pour être bon. Et c’est quand tu es dans cette situation que tu fais ton meilleur travail.
Le conseil de Paul Graham revient en fait à dire que pour savoir quel type de travail tu devrais faire, tu devrais chercher un domaine où tu as un avantage inné.
Ce qui est un très bon conseil.
🧠 Why we stopped making Einsteins - Erik Hoel
Toujours dans le thème parlons-des-personnes-bien-plus-intelligentes-que-toi, un très bon article de Erik Hoel qui propose une explication sur pourquoi il n’existe plus de génies.
1.
Tout part de l’observation que depuis quelques décennies, on ne trouve plus de personnes tellement brillantes dans leur domaine que leur influence marque l’Histoire.
On connaît tous les noms de Platon, Ovide, Mozart, Darwin, Shakespeare, Marie Curie, Newton, Nietzsche, Von Neumann, Dostoevsky. Leur importance historique est indéniable.
Mais si tu regardes les dates où ils ont vécu, il y a quelque chose qui saute aux yeux : est-il possible de citer quelqu'un, décédé au cours des dernières décennies, dont on pourrait dire la même chose ?
On dirait que notre époque n’a pas d’équivalents. Comme si on avait arrêté de faire des prodiges, que ce soit en sciences ou en arts.
2.
La thèse de Erik Hoel est que ces génies ont tous bénéficié d’un type d’éducation qui n’existe presque plus aujourd’hui: le tutorat.
Aristocratic tutoring was not focused on measurables. Historically, it usually involved a paid adult tutor, who was an expert in the field, spending significant time with a young child or teenager, instructing them but also engaging them in discussions, often in a live-in capacity, fostering both knowledge but also engagement with intellectual subjects and fields.
Il note que le remplacement du tutorat par l’éducation de masse coïncide avec la disparition de ces esprits brillants:
A child going from governesses teaching them multiple languages to renowned scholars tutoring them in advanced mathematics is similarly not replicable in today’s world. In turning education into a system of mass production we created a superbly democratic system that made the majority of people, and the world as a whole, much better off. It was the right decision. But we lost the most elegant and beautiful minds, those mental Stradivari, who were created via an artisanal process.
3.
Scott Alexander a écrit un article-réponse Contra Hoel On Aristocratic Tutoring où son principale contre-argument est que le problème ne vient pas de l’arrêt du tutorat mais simplement du fait que les idées sont plus difficiles à trouver.
C’est facile de faire des découvertes majeures dans un domaine qui vient de naître ; c’est autre chose de révolutionner un domaine sur lequels les cerveaux les plus brillants de la planète travaillent depuis 2000 ans…
4.
… mais Erik Hoel a répondu à ça avec un autre bon argument dans son article Objections to the importance of aristocratic tutoring.
Il explique que l’arrêt tutorat n’est pas la seule cause de la disparition des génies mais que c’est le facteur manquant.
Même si la théorie des “idées plus difficiles à trouver” est solide, comment expliquer que les génies ont disparu au même moment des sciences et des arts ? Ça serait un curieux hasard que ces domaines soient devenus plus difficiles à la même vitesse.
Et si c’était juste une histoire de difficultés, on aurait dû voir un effet positif avec l’arrivée d’Internet qui a rendu l’accès à l’information beaucoup plus facile. Cela auraît dû compenser cette augmentation de difficultés à trouver des idées, mais ça n’a pas été le cas.
Il répond aussi à l’objection selon laquelle les ultra-riches continuent à pratiquer le tutorat en secret et donc que l’on devrait continuer à voir émerger des génies si le tutorat était la solution.
D’après lui, ce n’est pas ce qu’il se passe. Les ultra-riches sont plus préoccupés par le fait d’envoyer leurs enfants dans des institutions prestigieuses que par l’éducation en tant que telle. Peu importe que l’enfant ait été formé intellectuellement tant qu’il a les bons signaux de prestige. Et aujourd’hui, les institutions prestigieuses font également de l’éducation de masse - les classes à Harvard compte une centaine d’étudiants ce qui est loin du cours privée 1v1. Même pour les ultra-riches, la culture du tutorat a disparu.
Enfin, il note que le sport est l’un des domaines où le tutorat est encore répandu… et c’est justement le domaine où l’on n’observe pas ce déclin de génies. On continue à voir apparaître des prodiges qui démolissent les anciens records et on semble loin d’avoir atteint le plafond dans la plupart des disciplines.
On peut faire un lien intéressant avec le premier article de ce Mix.
L’article de Scott Alexander défend que ce qu’une personne peut accomplir ne dépend pas que de sa volonté, ses prédispositions génétiques comptent.
L’article de Eric Hoel défend que ce n’est pas non plus qu’une histoire de prédispositions. Je ne pense pas qu’on ait fait moins d’individus exceptionnellement doués - on en a même probablement davantage vu l’explosion démographique - pourtant on a moins de génies.
C’est un mélange des deux. D’un côté, tu dois prendre en compte tes talents naturels parce qu’ils te guident vers le domaine le plus adapté pour toi. De l’autre, tu ne peux pas te reposer dessus, même si tu as un potentiel de fou, tout n’est pas joué et te reste encore à l’exploiter.